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L’Indo-Pacifique comme objet d’études en relations internationales : lectures comparées sur la production scientifique aux États-Unis et en Chine

Gauthier Mouton.
Cet article consiste en une analyse comparée de la production en sciences sociales ayant l’Indo-Pacifique comme objet d’étude, spécifiquement dans le champ des relations internationales (RI) entre deux pays : les États-Unis et la Chine, acteurs centraux dans cette région. L’objectif est donc d’identifier et de définir les principales orientations thématiques dans les académies nationales américaine et chinoise depuis quinze ans ; la production scientifique sur l’Indo-Pacifique étant appréhendée comme un récit politique. Ainsi, par l’utilisation des données issues de travaux académiques dans ces deux pays, se concentrant sur les articles en RI, il s’agit de mettre en lumière le référentiel scientifique de traditions nationales. Il apparaît que les distinctions entre ces « traditions » demeurent floues, celles-ci étant d’ailleurs traversées par différentes approches en leur sein. Selon les contextes étudiés, les rapports entre la communauté scientifique et le monde politique peuvent varier considérablement. Toutefois, s’il existe des divergences irréductibles dans la manière dont les chercheurs analysent les défis transverses en Indo-Pacifique, la comparaison entre la littérature scientifique et l’expertise produites dans les universités aux États-Unis avec celle produites en Chine offre un éclairage pertinent sur les influences mutuelles des scènes académiques nationales des sciences sociales, spécifiquement en […]

Une expérience française : À propos de Fei Xiaotong 费孝通 et de la publication en français de Xiangtu Zhongguo 乡土中国 (1948), sous le titre « Aux racines de la société chinoise » (2021)

Catherine Capdeville-Zeng.
Fei Xiaotong (1910-2005) est considéré en Chine comme l’un des pères fondateurs de l’anthropologie et de la sociologie chinoises. Son ouvrage théorique le plus important, Xiangtu Zhongguo 乡土中国, publié en 1948, est traduit en anglais et publié en 1992 sous le titre From the Soil: The Foundations of Chinese Society. En 2021, pour repréciser certaines notions anthropologiques et les mettre à la portée des lecteurs francophones, notamment celle de chaxu geju 差序格局 « ordre (social) fondé sur la distinction de statuts » qui caractérise la société chinoise selon l’auteur, l’ouvrage est publié pour la première fois en français aux Presses de l’Inalco sous le titre Aux racines de la société chinoise. Après une présentation de l’auteur et de sa pensée ancrée dans la discipline anthropologique, une réflexion est proposée ici sur les débats académiques entre penseurs originaires de différentes sociétés. Une courte biographie de Fei Xiaotong précède l’exposition des principaux concepts élaborés dans son ouvrage et des questions rencontrées à propos de leurs traductions. Les liens anciens, mais complexes entre Fei Xiaotong et l’anthropologie française sont ensuite abordés, puis ses conceptions sont comparées à celles de l’anthropologue français Louis Dumont. L’expérience proprement dite de la publication et de la traduction en français, associant des collaborateurs chinois et français, et les discussions à […]

Construire la nation avec les sciences sociales : le « projet russien » et ses protagonistes

Jules Fediunin.
L’article interroge le concept de nation civique, appelée nation russienne (rossijskaâ naciâ), et ses ressorts intellectuels dans la Russie postsoviétique. Après une étude des carrières croisées des principaux théoriciens et promoteurs de ce concept, l’article analyse les façons dont l’expertise en sciences sociales a été délibérément mise au service d’une cause politique : la construction nationale. Sont enfin démontrées l’absence de consensus autour de ce projet et l’hésitation du régime de Poutine à l’imposer.

Des théories de la modernisation au débat sur les valeurs asiatiques : l’invention d’une science sociale différentialiste à Singapour (années 1970-1990)

Thomas Brisson.
Singapour offre une énigme intéressante à l’étude des politiques scientifiques différentialistes. Comment comprendre, en effet, que la Cité-État, qui a longtemps adopté une position scientifique modernisatrice et universaliste, en soit venu à renverser cet agenda dans les années 1970, afin de promouvoir une conception endogène et particulariste des sciences sociales ? Ce renversement, qui vit Singapour s’opposer à l’appareil scientifique euro-américain, est d’autant plus contre-intuitif qu’il intervint précisément au moment où l’île achevait son insertion aux circuits de l’économie capitaliste occidentale. Pour le comprendre, l’article propose d’analyser en détails les relations entre les milieux politiques et scientifiques singapouriens, afin de dégager les configurations dans lesquelles l’hypothèse différentialiste a gagné en crédibilité. Ce faisant, il montre à la fois la multiplicité des acteurs et des échelles impliqués dans cette transformation, mais aussi le caractère toujours contesté et inachevé des politiques scientifiques différentielles.

L’archéologie au service des identités nationales : pourquoi faudrait-il détruire les collections de moulages d’art antique ?

Irene Avola.
À l’instar de l’Allemagne et à partir des années 1870, le moulage d’art antique fait l’objet d’un véritable « transfert culturel » en France et en Italie. Ce processus qui témoigne de l’émergence de l’archéologie en tant que science, s’insère dans le cadre plus vaste d’une modification de l’enseignement supérieur et d’une construction (dans le cas de l’Italie) ou d’un redressement de la nation (en France). Cependant, le processus de consolidation de l’État-nation se fonde sur un autre mécanisme culturel engendré par la mondialisation‑globalisation, à savoir l’« invention de la tradition ». Tels sont les cas notamment du « mythe de la Grèce blanche » ou de celui de la « Romanité » qui peuvent offrir des arguments suffisants pour justifier la destruction des collections de moulages d’art antique.

Biais socio-centrés et constructions de l’altérité: Pour une approche anthropologique critique et raisonnée

Sophie Chave-Dartoen.
Le retour sur les héritages coloniaux et les autres formes de domination rendent nécessaires l’approche critique des positions d’autorité fondant le discours scientifique. Quelles seraient les conditions de possibilité d’un savoir faisant droit à des formes alternatives de connaissance du monde et de discours à son sujet ? Toute approche n’apporte-t-elle pas ses biais dans le projet d’un savoir universel ? La réflexion repose sur une enquête ethnographique (Wallis) et le débat actuel sur la restitution, par les anciens pays coloniaux, des collections muséales africaines.

De l’exhibition dans les expositions coloniales au nouveau Musée national aïnou: La voix des autochtones est-elle impénétrable dans l’espace muséal ?

Alice Berthon.
L’inauguration en 2020 au Japon du premier Musée national aïnou, qui fait suite à la reconnaissance officielle de leur autochtonie en 2019, a-t-il rebattu les cartes de ceux qui ont voix au chapitre ? L’étude de ce nouveau musée sera l’occasion de revenir sur la construction des discours portés sur l’Autre et sur Soi et les rapports entretenus entre les producteurs de savoir et les personnes sur qui portaient et qui portent aujourd’hui ce savoir.

La Vénus de Milo est-elle japonaise ?

Michael Lucken.
La Vénus de Milo est considérée comme un chef d’œuvre de l’art grec. Toutefois, au grand dam des autorités helléniques qui en demandent la restitution, elle appartient depuis 1821 aux collections publiques françaises. Plus généralement, on admettra volontiers qu’elle est européenne et occidentale. Et cela va sans dire, sa beauté est universelle. Mais peut-elle être japonaise ? À travers l’examen de la réception de la Vénus de Milo au Japon, il s’agira de réfléchir aux conditions d’une appropriation utopique des œuvres d’art plastiques, étant entendu que, contrairement aux textes qui peuvent être cités, tronqués, réédités, tableaux et statues sont puissamment assujettis à leur matérialité. À rebours des discours actuels sur la dématérialisation des œuvres, qui va de pair avec une fétichisation croissante des originaux, cet article explore le chemin d’une incorporation par l’usage et le refaire.

La Polynésie française : dernier bastion de l’« invention de la tradition » ?: Quand le champ scientifique adresse une fin de non-recevoir aux renaissances culturelles

Florence Mury.
Alors que les actrices et les acteurs des renaissances culturelles en Polynésie française n’hésitent pas à mobiliser des travaux de recherche (historique, archéologique, anthropologique, etc.) comme moyens de connaître le passé précolonial, le champ scientifique continue d’adresser à cette énonciation culturelle une fin de non-recevoir. L’historicité des pratiques et les finalités poursuivies dans le cadre de ces renaissances sont ainsi mises en cause, révélant l’influence toujours décisive d’une théorie pourtant battue en brèche ailleurs dans le Pacifique : l’invention de la tradition.

Science, identité et droit: Croiser la conceptualisation et l’opérationnalisation de la race et de l’ethnicité

Andras L. Pap ; Eszter Kovacs Szitkay.
Les auteurs, juristes comparatistes, travaillant sur un vaste projet qui cartographie la manière dont le droit conceptualise et opérationnalise la race, l’ethnicité et la nationalité, fournissent une évaluation de la relation triadique entre le droit, l’identité (la reconnaissance de l’identité et des revendications) et la science. Le projet se concentre sur la race et l’ethnicité, excluant la discussion de l’identité de genre, mais cette dernière est utilisée comme point de référence pour démontrer les changements transformateurs de ces dernières années dans la façon dont la signification des termes d’identité est assignée et conceptualisée dans les sciences sociales et humaines, et dans une certaine mesure dans la politique et le droit. Pourtant, il existe un manque débilitant de ressources linguistiques et conceptuelles, d’outils culturels et d’un vocabulaire solide et approprié pour réfléchir à l’identité raciale, ce qui est particulièrement flagrant dans le domaine du droit, notamment le droit international, qui utilise habituellement les concepts de race, d’ethnicité et de nationalité lorsqu’il établit des normes pour la reconnaissance des droits collectifs ou la protection contre la discrimination, qu’il établit des critères pour l’asile, qu’il qualifie des actions de génocide ou qu’il exige un « lien authentique » dans le droit de la citoyenneté, sans réellement fournir de définitions pour ces groupes […]

Agriculteurs ou chasseurs-cueilleurs ? Le débat autour de Dark Emu

Peter Sutton ; Keryn Walshe ; Christophe Darmangeat.
Le livre Dark Emu (2014), écrit par Bruce Pascoe, plaide pour une révision drastique de la vision des peuples aborigènes au moment de la colonisation de l’Australie. Traditionnellement présentés comme des chasseurs-cueilleurs nomades, ceux-ci auraient en réalité été pour une bonne part des villageois pratiquant certaines formes d’agriculture et de pisciculture, autant d’éléments dissimulés par ceux qui voulaient s’approprier leurs terres, forgeant ainsi une version mensongère perpétuée par la tradition anthropologique. Cette thèse provocatrice a connu un immense retentissement en Australie, où elle a suscité de très âpres polémiques. Le livre de Peter Sutton et Keryn Walshe en constitue la première réfutation émanant de spécialistes académiques –  par ailleurs, profondément impliqués dans la défense des droits des communautés aborigènes.

« Voilà les anthropos » : à quoi sert un archéologue ?

John Whittaker ; Christophe Darmangeat.
À partir d’une chanson dénonçant les anthropologues et des préhistoriens comme irrespectueux des cultures qu’ils étudient, l’article propose une réflexion sur le rapport entre les cultures disparues et leur étude scientifique inspirée de l’expérience personnelle de l’auteur. Il examine ensuite le NAGPRA, loi fédérale sur « la protection et le rapatriement des tombes des natifs américains » qui, en 1990, a conféré aux communautés amérindiennes des droits étendus sur divers biens culturels et sites archéologiques. Il souligne notamment les effets paradoxaux, sinon pervers, d’un tel dispositif législatif, qui n’a pas forcément contribué à une meilleure connaissance (et reconnaissance) des sociétés précoloniales d’Amérique du Nord.

L'adresse de référence, la citoyenneté des invisibles

Adèle Pierre.
En Belgique, la domiciliation et l’inscription au Registre de la population constituent un préalable à l’accès aux droits sociaux, ainsi qu’un indicateur d’intégration et de reconnaissance sociale. Pour les personnes sans‑domicile, un dispositif administratif a été mis en place : l’adresse de référence. Celui‑ci permet, entre autres, de disposer d’une inscription au registre de la population et pour la personne d’obtenir une existence de droit et administrative. Pourtant, aujourd’hui, son application diffère d’un organisme d’aide sociale (appelés CPAS) à un autre, les contrôles étant la plupart du temps motivés par la lutte contre la fraude sociale, elle‑même définie par une politique propre à chaque CPAS.

Les coûts de l'expatriation

Yacine Boukhris-Ferré.
Cet article propose d’étudier les conditions concrètes d’intégration d’un sans‑papiers installé à Bordeaux. Il repose principalement sur une enquêteethnographique, des entretiens et une enquête budget réalisés auprès d’un bénéficiaire du Secours populaire à Bordeaux.

Pluralité d’échelles d’analyse et de temporalités dans l’étude de la relation avec la patrie : l’exemple du circuit migratoire saisonnier liant les Bouches‑du‑Rhône au Maghreb

Giulia Breda.
Sur le terrain des migrations saisonnières entre le Maghreb et les Bouches‑du‑Rhône, j’étudie l’évolution des liens entretenus avec « la patrie », leterritoire et le réseau social d’origine et le sens que les migrants donnent eux‑mêmes à cette relation, une évolution que j’aborde à travers le croisement d’une pluralité de temporalités et d’échelles d’observations : le contexte structurel politique, socio‑économique du pays d’accueil et d’origine ; les possibilités données par le réseau des migrants ; les stratégies individuelles et familiales de ces derniers.

“Where is home?” Les Médecins Sans Frontières, des médecins sans patrie ?

Ludovic Joxe.
Les « Médecins Sans Frontières » (MSF) sont‑ils des médecins sans patrie ? Basé sur une cinquantaine d’entretiens, des données statistiques et uneobservation participante, cet article décrit des conditions de mission humanitaire limitant l’intégration locale et dégage trois formes d’attachement : chez soi (« expatriés parenthèse »), ailleurs (« expatriés multipatrides ») ou nulle part (« expatriés duty‑free »). Pour ces derniers, MSF joue, jusqu’à leur départ de l’organisation, le rôle de patrie de substitution.

Cap(s) de Bonne espéranCe ? Entre fierté et culpabilité, transmission et déconstruction : les formes d'expatriations identitaires afrikaner post-apartheid

Valentin Heinrich ; Clémence Snyman.
Depuis 1994, la communauté afrikaner entretient un rapport ambigu avec ses attributs culturels, utilisés comme alibi par le gouvernement nationaliste‑chrétien pour justifier la suprématie raciale sous l’apartheid. Ils sont aujourd’hui perçus comme déviants et vécus comme des stigmates sociaux. Certains membres de la communauté s’emploient à formuler de vives critiques du passé et à réinventer les cadres patriotiques pour les faire coïncider avec les nouvelles valeurs libérales démocratiques dominantes aujourd’hui.

La diversité des projets migratoires de Français qui s'expatrient au Québec : essai de typologie en quatre tableaux dynamiques

Danièle Bélanger ; Cécile Lefèvre ; Charles Fleury.
À partir d’une enquête qualitative menée entre 2016 et 2018 auprès d’une trentaine de Français ayant migré au Québec, cet article propose de distinguer quatre types de projets migratoires : le projet d’exploration, d’établissement, de circulation et de retour. Les trajectoires et propos recueillismontrent que ces projets ne sont pas disjoints ni figés dans le temps, et qu’il existe donc une fluidité des projets migratoires, qui par ailleurs ne correspondent pas toujours aux catégories administratives de statuts migratoires de la politique migratoire canadienne.

Les politiques d'asile en Russie : entre migration de retour et rapatriement

Stepan Vasilenko.
Cet article vise à mettre en lumière la manière dont, dans le contexte national russe, les autorités publiques effacent les frontières entre la migrationde retour et l’asile afin d’apporter le soutien au rapatriement des ex‑citoyens soviétiques en Russie. Ce phénomène politique prend ses racines au moment de la chute de l’URSS, alors que la Russie est rapidement devenue un pays d’immigration. En a résulté l’adoption de la Convention de Genève et la création des deux catégories socio‑juridiques de réfugiés en Russie : « les migrants forcés » et « les réfugiés ».

L'expatriation comme forme d'émancipation. Vers un autre regard sur les migrations internationales ?

Sylvain Beck.
Cet article se propose d’analyser l’expatriation dans une perspective phénoménologique afin de remettre en cause les grilles d’analyse conventionnelles des déplacements humains. Il s’agit de déconstruire les identités de classe, de race et de nation pour faire émerger la notion d’émancipation de l’individu de sa patrie. L’expatriation apparaît comme une notion existentielle heuristique pour porter un autre regard sur les migrations internationales. Elle unifie les situations migratoires en dépassant les clivages implicites entre tradition et modernité.

Naissance d'un peuple européen nomade. Histoire et actualité des territoires trasnmigrants de la mondialisation par le bas en Europe méridionale

Alain Tarrius.
Années 1980 : des « beurs, orphelins de la République » succèdent à leurs pères Algériens immigrés depuis 1962, peu visibles sur la scène publique. Échappés au regard, au contrôle, à la soumission étatique nombre de ces « pères disparus » ont développé des initiatives commerciales transnationales, pour alimenter de vastes marchés souterrains en France, en Italie, en Allemagne, Belgique et Pays Bas, puis en Espagne tout enrenforçant leurs liens avec le Maghreb. Organisés en interminables tournées, ces transmigrants deviennent des nomades de la mondialisation par le bas. Après 1990, les Algériens d’Europe, qui subissent les contrecoups de la guerre civile en Algérie se replient vers des micro‑marchés locaux alors même que se déploie la grande migration marocaine : plus d’un million de personnes créant toute sorte de réseaux européens pour se loger ou travailler, reprennent les activités commerciales transfrontalières des Algériens, avec des logistiques plus souples et diversifiées. C’est au début des années 2000 qu’ils rencontrent les cohortes afghanes, géorgiennes, russes et ukrainiennes de transmigrants de l’Est oeuvrant pour les fabriques du sud‑est‑asiatique en négociant en « poor to poor » c’est à dire « par les pauvres pour les pauvres », hors taxes et contingentements, des produits électroniques. Marchandises envoyées de Hong Kong vers les Émirats du golfe Persique où elles échappent au contrôle de […]

Un étranger inventeur de nation : le cas du docteur Wilhelm Molly à Moresnet-Neutre

Cyril Robelin.

Du déracinement à l'exclusion. Les réfugiés de la Première Guerre mondiale dans l'Ouest rural français

Ronan Richard.
Durant la Première Guerre mondiale, entre 2 et 3 millions de réfugiés, chassés par les combats, choisissent l’exil. Dans l’Ouest de la France, 150 000 évacués, réfugiés ou rapatriés sont ainsi accueillis. Dès l’automne 1914, leur intégration suscite des difficultés, mineures au début mais qui s’accentuent à partir de 1915. Dans un contexte de guerre dont nul n’a prédit l’allongement, leur profil socio‑culturel est vite considéré comme incompatible avec les attendus de populations autochtones majoritairement rurales et peu accoutumées à cette « découverte de la différence ».

La réalité virtuelle fait-elle plus de place au patient ? Retour sur un dispositif expérimental de recherche thérapeutique

Ivan Sainsaulieu ; Anne Vega.
Nous suivons d’un point de vue socio-anthropologique les tenants et les aboutissants d’une expérimentation en neurosciences, affichant une volonté d’augmenter l’efficacité thérapeutique d’un dispositif de réalité virtuelle (RV) dans le traitement de phobies. La participation du patient, pourtant au cœur de la promesse thérapeutique et du recours à la technologie de la réalité virtuelle, s’avère partielle et relativement impensée. Les acteurs priorisent la recherche sur la clinique et partagent la représentation classique du « bon patient » (actionnable, sans contraintes sociales, disponible), voire d’un patient héroïque, capable d’une endurance et d’une capacité d’adaptation peu ordinaires. Cette représentation va de pair avec la sous-estimation des épreuves thérapeutiques inhérentes à l’usage de la réalité virtuelle et avec la sous-évaluation des capacités d’analyse du patient durant l’expérimentation elle-même.

La lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée et les difficultés liées aux identités professionnelles et communautaires

Abdoulaye Wotem Somparé.
Cet article décrit les interactions entre les différents acteurs impliqués dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée, en se focalisant sur leurs identités communautaires et professionnelles. Il montre comment l’épidémie a contribué à forger de toute pièce des identités inédites, regroupées en deux camps opposés, «  les gens d’Ebola  » et les «  communautés  », ainsi que de nouvelles figures professionnelles. Dans une perspective de la socio-anthropologie du développement de Jean-Pierre  Olivier  de  Sardan, l’article cherche à contribuer à une meilleure connaissance des opérateurs de la «  Riposte  », des interactions entre les spécialistes de disciplines différentes et de leurs représentations sur les populations locales.

L’autisme à l’épreuve des normes sociales : ville‑carcan et nature‑liberté

Anna-Livia Marchionni.
J’ai rencontré 24  personnes porteuses du syndrome d’Asperger afin d’explorer leur rapport à la nature en recueillant leurs témoignages et en réalisant des enquêtes ethnographiques au domicile de deux d’entre elles. À partir de ces témoignages et observations, j’articule mon propos autour de deux axes centraux : si l’importance de la sensorialité dans leur rapport à la nature et à l’environnement est mise en évidence, une deuxième problématique apparaît : la stigmatisation et un vécu de rejet qui inciteraient les personnes que j’ai rencontrées à se tourner vers la nature comme un espace libéré des normes sociales.

La pluralité des rapports à l’écoquartier et à l’écocitoyenneté : un attachement commun au local et à la démocratisation de l’écologie ?

Karl Berthelot.
Cet article découle d’un travail de recherche empirique centré sur les ressorts socio-spatiaux de l’écologisation des modes de vie et la diffusion-réappropriation de l’écocitoyenneté. Il s’appuie sur une  dizaine  d’entretiens semi-directifs et 93  entretiens par questionnaire auprès d’habitants d’écoquartiers franciliens (Clichy-Batignolles, Bel Air-Grands Pêchers et Chandon-République). L’analyse des modes de vie révèle la pluralité des rapports à l’écoquartier, lieu agréable à vivre mais également catalyseur de désagréments quotidiens freinant l’intégration des habitants à leur environnement local. Les retours d’expérience des habitants font état de la diffusion généralisée des écogestes dans l’ensemble des représentations liées à l’écologie. Cependant, ils témoignent de la richesse des relations subjectives à l’écocitoyenneté, oscillant entre la défense et l’opposition au référentiel du développement durable. Ces discours vernaculaires sont à l’origine d’une réappropriation sémantique et pragmatique de l’écocitoyenneté qui va ainsi être modelée en fonction des contraintes de vie et des valeurs personnelles, autant de variables susceptibles d’avoir une influence effective sur la conscience et la sensibilité environnementales. Les résultats de recherche font apparaître des attentes plurielles quant à la démocratisation de l’écologie, variables en fonction des (dis)positions […]

Comprendre la ville à travers ses affiches de rue : les significations d’un urbanisme pluriel à Yaoundé

Salifou Ndam ; Hyacinthe Jean Abega.
À Yaoundé, les affiches de rues sont porteuses de dynamiques sociales hiérarchiques et de rivalités caractérisant la lutte pour l’expression des droits à la ville. Dans un contexte où la ville est divisée en zones d’affichage distinctes, les affiches de rue visent alors à reproduire les hiérarchies sociales. En même temps, certains afficheurs combattent ces logiques à travers ce qu’il est convenu d’appeler les stratégies de «  contre-pouvoir  » et de «  contre-espaces  », synonymes d’un urbanisme pluriel.

L’insertion des Mozabites d’Algérie dans les territoires d’accueil. Organisation et solidarité de la communauté mozabite hors du M’Zab : l’exemple de la jma’a de Bordj Bou Arreridj

Nora Gueliane.
La migration constitue un trait caractéristique des Mozabites, une minorité aux fortes valeurs identitaires et pourvue d’une organisation institutionnelle particulière. Là où les Mozabites sont installés, en Algérie ou à l’étranger, une assemblée traditionnelle est créée [la jma’a] et des biens immobiliers sont acquis  : maison communautaire, école libre, mosquée, cimetière, centre culturel, bibliothèque, etc. –, cela à l’échelle d’une ville. À l’échelle du pays, chaque région est gérée par une coordination [tansiqiyat] et le tout est chapeauté par un Conseil confédéral sis à Ghardaïa – le Conseil de ‘Ammi Saïd–. Il s’agit donc, dans cet article, d’étudier cette organisation institutionnelle et d’élucider les mécanismes adoptés par les Mozabites afin de faciliter leur organisation et insertion dans un contexte migratoire. À la fin de ce texte, nous serons en mesure de définir la mobilisation de la solidarité du groupe comme un élément moteur dans ce processus d’insertion. Pour notre démonstration, nous avons réalisé, en plus de la recherche documentaire, une enquête de terrain (qualitative). Des entretiens ouverts, semi-directifs et des entretiens de groupe ont été menés, essentiellement auprès de la communauté mozabite installée dans une ville moyenne de l’Est algérien ; la ville de Bordj Bou Arreridj, au cours des années 2015 et 2016.

Les ressources du cosmopolitisme ordinaire pour les exilés Rohingyas, sans papiers en Malaisie

Louise Perrodin.
Depuis les années 1990, des Rohingyas se réfugient en Malaisie. La législation malaisienne ne mentionnant pas de droit d’asile, ils y sont sans-papiers. Pourtant, malgré la non-reconnaissance du statut de réfugié, cette catégorie importée est omniprésente dans les discours des Rohingyas. Cet article propose d’analyser le rapport des Rohingyas à ce statut de droit international. Nous défendons que le cosmopolitisme, intériorisé et routinisé en un cosmopolitisme ordinaire, constitue une ressource pour l’ancrage d’exilés sans papiers.

Écologies de l’intégration : l’activisme socio-culturel palestinien en Suède

Fanny Christou.
Cet article a pour objectif d’analyser de manière critique les formes d’intégration en interrogeant comment les migrants/diasporas créent activement des pratiques de rencontre, de dialogue et de compréhension mutuelle au sein des sociétés d’accueil. Ce papier se base sur une étude de terrain réalisée au sein d’un espace local suédois (Malmö) et explore la diversité du militantisme artistique des Palestiniens en Suède dans le but d’analyser ses conséquences sur le concept d’intégration.

La « sociabilité du passage » ou la rencontre avec une altérité modérée comme partage interculturel

Pauline Marie Neveu.
La sociabilité est un concept central dans la discipline sociologique. Son application aux nouvelles manières de constituer des liens sociaux interroge la définition même du concept, particulièrement dans son rapport à l’altérité. En suggérant l’idée de la sociabilité dite «  du passage  », nous proposons de mieux comprendre les tensions entre ressemblance et altérité au cœur des relations sociales entre inconnus. Précisément, cet article vise à mettre en avant des illustrations de moments d’ouverture interculturelle dans les relations entre membres d’un réseau d’échange d’hospitalité.

L'incidence du système de préférence nationale monégasque sur la construction de l'identité de la population de la principauté de Monaco

Jérôme Tourbeaux.
La principauté de Monaco présente la particularité d’avoir institué un système de préférence nationale hiérarchique favorisant d’abord les Monégasques, puis les individus qui partagent des liens plus ou moins étroits avec la principauté, notamment dans les domaines de l’emploi et du logement. L’objectif de la principauté est de maintenir les citoyens nationaux sur le territoire compte tenu de son attractivité et de la pression sur le coût de l’immobilier qui en résulte. Le présent article propose de discuter de ce système de préférence nationale qui, d’un point de vue conceptuel, influence certainement le processus de construction identitaire des différentes catégories d’individus qui résident à Monaco, façonnant ainsi les relations entre les différents groupes présents dans le pays.

Le ghunghat, ethnographie d’un voile comme langage social. Corps et société en Inde du Nord

Laurence Lécuyer.
Le ghunghat est un voile du Nord  de  l’Inde. Il a pour particularité d’être non confessionnel. Son lien est étroit avec les systèmes de parenté, d’alliance, d’organisation familiale d’Inde du Nord, et reflète les systèmes de représentations et de constructions du corps. Une analyse anthropologique de ce voile fait ressortir ses dimensions sociales, esthétiques, et son lien au sacré. Le voile en tant qu’objet polysémique doit être repensé selon une perspective comparative qui permet de sortir des cristallisations autour des seules dimensions religieuses et politiques dans lesquelles le voile a été enfermé dans le contexte socio-politique français.

Le débat public sur le port de signes religieux par les représentants de l’État au Québec (2007‑2018): Entre accord et désaccord

Gilles Gauthier.
L’article fait l’examen de l’évolution du débat tenu au Québec depuis plus d’une  dizaine  d’années sur le port de signes religieux par les représentants de l’État en mettant en évidence comment il a oscillé entre accord et désaccord. L’analyse montre que les déplacements du débat sont déterminés par l’introduction en son sein d’infra-débats portant sur des questions sous jacentes qui en modifient les contours et, à défaut d’être pleinement explicités, l’obscurcissent.

Un lieu et un lien. L’espace intellectuel socialiste: Un espace spécifique et hétéronome

Thibaut Rioufreyt.
La production des idées politiques dépasse les seules frontières organisationnelles des partis et s’effectue à travers la médiation d’acteurs collectifs (fondations, clubs, think tanks, revues, maisons d’éditions, grandes écoles, centres de recherche, universités,  ...) et individuels (responsables politiques, intellectuels, experts, traducteurs, éditeurs,  ...) à la croisée de logiques et d’espaces sociaux hétérogènes. Dans cette perspective, cet article se propose d’interroger les concepts topologiques à disposition du chercheur en sciences sociales (réseau, monde social, champ, communauté épistémique, ...) pour pouvoir analyser ces lieux hybrides en les appliquant à un cas empirique : l’espace intellectuel socialiste.

L’âge axial : retour sur un concept mis en œuvre par S. N. Eisenstadt

Renée Koch Piettre.
Nous discutons la pertinence du concept d’âge axial chez Eisenstadt appliqué à la Grèce ancienne. Selon Eisenstadt, la Grèce, malgré ses philosophes, était restée trop peu idéaliste pour entrer pleinement dans l’âge axial. Rappelant le diffusionnisme de Hocart et le structuralisme de Lévi-Strauss, nous montrons que les influences orientales, tant à l’époque hellénistique que dès l’adaptation de l’écriture phénicienne, ont toujours été subordonnées par les Grecs à leurs traditions propres.

L’altérisation de la pluralité sociale via la rhétorique de «la diversité» dans le discours d’organisations françaises : une analyse sémio-communicationnelle

Emmanuelle Bruneel.
L’objectif de cet article est de rendre compte de la manière dont la notion de « diversité » est utilisée en France afin de traiter de la problématiquede la pluralité sociale. Il s’agit en particulier de montrer en quoi la rhétorique de « la diversité » reconfigure les tenants et les aboutissants des questions relatives aux « différences » ethno-raciales. L’analyse de discours de « responsabilité sociétale et environnementale » (RSE) d’organisations qui la mobilisent permet d’interroger « la diversité » à l’aune de ce qu’elle entend représenter. L’analyse sémio-politique proposée s’inscrit en sciences de l’information et de la communication et vise à mettre au jour certaines énonciations sociales et certaines médiations dont « la diversité » fait l’objet. Mobilisée dans les discours institutionnels via des expressions telles que « promouvoir », « respecter » ouencore « inclure la diversité », cette formule ambiguë semble prendre en charge l’idée de pluralité « des différences » et dire la qualité plurielle mais unifiée de la société. Les thématiques qu’elle inclut sont, par ailleurs, équivoques : on l’emploie dans des contextes hétérogènes pour parler d’anti-discrimination, de tolérance, de parité, d’antihomophobie, d’antisexisme, d’antiracisme, de handicap, de laïcité, etc. Néanmoins, toutes ces évocations cristallisent l’idée de variété, de pluralité, de dissemblances, de […]

Diversité et « super-diversité » dans les arènes académiques : pour une approche critique

Milena Doytcheva.
En prenant comme point de départ l’émergence du concept de (super-)diversité dans les arènes politiques et académiques, l’article met àl’épreuve les changements théoriques et épistémiques allégués, liés à ce nouveau paradigme (Vertovec 2007) dans l’étude des phénomènes de pluralisme culturel et de « multiculture » (Back 1994 ; Hall 1999). Nous commençons par étudier de manière critique les principales innovations revendiquées, en les replaçant dans le contexte plus large d’un « retour » annoncé de l’assimilation (Brubaker 2001). Nous envisageons ensuite une deuxième source de mise à l’épreuve, fondée sur des arguments empiriques, issus d’enquêtes sur les politiques publiques quis’attachent à la mise en oeuvre de ces idéaux. Nous évoquons pour conclure l’hypothèse d’un « blanchiment » (Bilge 2013) de la diversité et interrogeons la possibilité d’investir la notion de manière non plus normative, mais critique, en l’articulant plus fortement à celle de non-discrimination.

Paradigmes subversifs du sujet dans la photographie et les écrits de Nan Goldin : Pluralité humaine et révisions épistémologiques

Mélanie Grué.
Cet article croise les discours sur le sujet, la sociologie de la photographie et l’oeuvre de Nan Goldin, et soutient que la photographe interrogeles paradigmes de genre menant à la définition d’identités « abjectes ». En réinvestissant l’esthétique de l’instantané et de la photographie de famille, Goldin rend compte de la pluralité des identités de genre. Sa photographie documente le délitement du couple hétérosexuel et revendique la viabilité des identités homosexuelles, des transgenres et des drag queens, s’érigeant en savoir minoritaire et en contre discours sur l’humain.

Pluralité des points de vue et connaissance d'une réalité plurielle. En suivant Jean-Pierre Darré

Claude Compagnone.
Le but de cet article est de rendre compte de la façon dont desconceptions plurielles de la réalité sont inhérentes au processus de connaissance.Il vise aussi à montrer comment on peut entendre que les points de vue des acteurs sur cette réalité sont socialement et objectivement situés. S’appuyant sur l’approche de J.-P. Darré, sur le néopragmatisme de H. Putnam, ainsi que sur les travaux de linguistes et de psychologues, il éclaircit la façon dont on peut entendre le rapport qui peut être établi entre réalité et connaissance. Il souligne que la vérité dépend de l’adéquation de la connaissance à la réalité et met en valeur les propriétés interactionnelles des choses. Il fait ensuite apparaître la nature sociale des conceptions et discute, à partir de la notion de point de vue de A. Schütz, de la caractérisation sociale de ces points de vue.

Une pensée de la relation : Franz Boas et le concept de « type »

Camille Joseph.
Cet article se propose d’examiner le concept de « type » dans le travail de Franz Boas (1858-1942). À partir d’une lecture des principaux textes del’anthropologue consacrés à l’anthropométrie, cet article expose la manière dont il s’est servi des méthodes statistiques pour détourner l’anthropologie physique de ses objectifs taxinomiques et mettre en avant une pensée de la relation fondée sur la variation et les phénomènes de corrélation. Boas préfère penser les « types » au pluriel pour mieux observer les jeux d’emprunts et de mélanges qui se manifestent dans les limites de la plasticité humaine.

Pour une approche cosmopolite de la globalisation

Vincenzo Cicchelli ; Sylvie Octobre.
Le cosmopolitisme a une histoire ancienne et cyclique. Souvent désigné sous le terme de néo-cosmopolitisme, son usage dans le contexte actuelsoulève une série de difficultés tant conceptuelles que méthodologiques. Pourtant, en traduisant sociologiquement d’anciennes matrices philosophiques, cette perspective propose une grille d’analyse inédite des phénomènes propres à la globalisation qui permet de sortir d’une vision purement économique de cette dernière en considérant les transformations politiques, éthiques, culturelles, esthétiques du rapport à autrui dans le monde global. En nous inscrivant dans le «tournant cosmopolite» – qui suppose une refondation des concepts, outils et méthodes –, nous proposons un cadre théorique fondé sur l’analyse de trois plans d’observation : les dynamiques de la culture cosmopolite, les institutions de la gouvernance cosmopolite, les mécanismes de la socialisation cosmopolite.

Face au non-événement : réflexions à partir d’une expérience de terrain à Alger

Thomas Serres.
Cet article s'intéresse à la production et à la réception d'un non-événement, à partir de l'exemple des élections présidentielles algériennes de 2014. Le non-événement y est décrit comme le produit d'une publicisation, d'attentes des observateurs et des acteurs qui anticipent une trajectoire révolutionnaire ou catastrophique, mais aussi de certaines activités routinières liées à la configuration politique. Si le non-événement n'est pas une rupture, il révèle néanmoins la complexité des structures sociales et des imaginaires collectifs. Dans le même temps, il nécessite aussi une prise de distance afin de pouvoir saisir des phénomènes moins spectaculaires qu'il tend à cacher

Épistémologie de l’exception

Ivan Ermakoff.
Cet article éclaire trois contributions possibles du cas d’exception défini comme tout objet de considération qui se démarque et se distingue d’un cadre normatif, d’une thèse explicative ou d’une distribution fréquentielle. La contribution est critique lorsque le cas met en doute les fondements d’une taxonomie, le bien-fondé d’un énoncé prédictif ou celui d’une modélisation. Elle est paradigmatique dès lors que le cas exemplifie un ensemble de propriétés caractéristiques d’une classe empirique. Elle devient heuristique à partir du moment où le cas rend visible la logique de rapports restés jusqu’alors non documentés

Musique, religion, appartenances multiples : une approche de l’événement

Monika Salzbrunn.
Partant d'un retour critique sur le concept d'évènement, l'auteure opte pour une approche épistémologique novatrice : plutôt que de partir de groupes institutionnels prédéfinis, elle étudie les manières dont le religieux fait évènement dans la région transfrontalière de l'Arc Lémanique. Il s'est avéré que la musique prend une place centrale dans l'expression d'appartenances translocales. Le texte, fondé sur les résultats d'un projet de recherche sur l'« Islam (in)visible en ville », montre comment la diversité des références culturelles représentées dans cette région suisse est mise en musique par les acteurs. Le processus de recherche commence par une focale sur l'événement et l'analyse des acteurs qui y mettent en scène leurs appartenances. Ces événements festifs sont restitués dans leur contexte politique, géographique et social.

« En eschauguette en sa propre maison »Réflexions sur le terrorisme comme guerre civile - L'exemple des guerres de Religion (1562-1598)

Jérémie Foa.
La présente contribution se propose de réfléchir aux problèmes rencontrés par une société confrontée à la présence – réelle ou fantasmée – d’un « ennemi intérieur » prêt à frapper n’importe où, n’importe qui, tapi dans l’indolence, la banalité, la routine et le confort du quotidien. Dans cette société, la reconnaissance d’autrui et la présentation de soi n’ont plus pour but de protéger l’honneur social mais engagent des questions de vie ou de mort. Quelles sont les compétences mobilisées pour débusquer les « suspects » ? Les guerres de Religion (1562-1598) peuvent aider à penser une société confrontée à l’irruption d’une violence soudaine et, à l’image du terrorisme, venue de l’intérieur de la communauté

Les institutions de la stupeur. Retour sur les sociologies de l’événement

Nagisa Mitsushima.
L’événement, généralement attaché à la contingence et à l’inédit, semble en réalité soutenu par une solide armature institutionnelle, laquelle contraint largement les pratiques des acteurs et les usages qu’ils pourront faire de l’évènement. A partir d’une revue de littérature, l’article plaide pour une meilleure prise en compte, par les sciences sociales, des dimensions historiques et conventionnelles de l’événement. En avançant une série de propositions pour saisir cette infrastructure des événements, l’article entend spécifier une modalité complémentaire d’analyse de l’objet « événement », au prisme de la sociologie historique et de la sociologie des institutions.

Les « villages d'insertion » : un événement territorial ? Quand la géographie sociale fait sienne la notion d'événement pour étudier les politiques urbaines

Elise Roche.
L’événement a fait l’objet d’attentions diverses en histoire et en sociologie notamment. Nous proposons ici d’examiner en quoi une approche géographique de l’événement - par une saisie territoriale, et non seulement temporelle ou sociétale - viendrait enrichir son appréhension. Nous envisageons ici l’« événement territorial » en l’appliquant à un cas d’étude : la construction de villages d’insertion à Saint-Denis. Ces dispositifs sont à destination de populations migrantes désignées comme « Roms » par les acteurs locaux, qui rencontrent des difficultés spécifiques liées notamment aux conditions de leur migration. Nous examinerons trois aspects de l’événement territorial : la rupture d’intelligibilité qu’il occasionne et la surprise face à une organisation territoriale inédite ; la pluralité de territorialités et de temporalités qu’il met en lumière et son caractère situé et contextualisé ; la discontinuité qu’il traduit dans l’approche territoriale du traitement de l’habitat spontané auto-construit.