Singapour offre une énigme intéressante à l’étude des politiques scientifiques différentialistes. Comment comprendre, en effet, que la Cité-État, qui a longtemps adopté une position scientifique modernisatrice et universaliste, en soit venu à renverser cet agenda dans les années 1970, afin de promouvoir une conception endogène et particulariste des sciences sociales ? Ce renversement, qui vit Singapour s’opposer à l’appareil scientifique euro-américain, est d’autant plus contre-intuitif qu’il intervint précisément au moment où l’île achevait son insertion aux circuits de l’économie capitaliste occidentale. Pour le comprendre, l’article propose d’analyser en détails les relations entre les milieux politiques et scientifiques singapouriens, afin de dégager les configurations dans lesquelles l’hypothèse différentialiste a gagné en crédibilité. Ce faisant, il montre à la fois la multiplicité des acteurs et des échelles impliqués dans cette transformation, mais aussi le caractère toujours contesté et inachevé des politiques scientifiques différentielles.