Ce numéro comporte, outre le principal dossier thématique, une rubrique varia composée d’une étude de sociolinguistique en terrain camerounais, d’un mini-dossier sur l’ouvrage signé David Graeber et David Wengrow, Au commencement, était… (Les Liens qui Libèrent, 2021), et de comptes rendus de livres parus non seulement en français, mais aussi en roumain, entérinant ainsi la volonté de Sociétés plurielles de faire dialoguer des contributions scientifiques majeures écrites en d’autres langues que celles de grande circulation. Les contributions du dossier principal laissent transparaître deux lignes de force : d’une part, l’autonomie des champs académiques qui résistent aux tentatives d’instrumentalisation du pouvoir politique et, d’autre part, la continuité des circulations transnationales des savoirs, y compris dans des contextes académiques enchâssés dans des systèmes politiques autoritaires ou totalitaires.
Ce numéro de Sociétés plurielles est le produit d’un appel à contributions portant sur « Les sciences sociales, entre universalisme et différentialisme : un retour des “écoles nationales” ? ». La proposition invitait à interroger la résurgence, paradoxale, de la référence à des « écoles » ou « traditions » nationales au sein de disciplines conçues pour penser le pluralisme des sociétés et des cultures au prisme de paradigmes, de concepts ou de méthodes aspirant sinon à l’universalité, du moins à saisir le monde social en dépassant la description de situations particulières.
Singapour offre une énigme intéressante à l’étude des politiques scientifiques différentialistes. Comment comprendre, en effet, que la Cité-État, qui a longtemps adopté une position scientifique modernisatrice et universaliste, en soit venu à renverser cet agenda dans les années 1970, afin de promouvoir une conception endogène et particulariste des sciences sociales ? Ce renversement, qui vit Singapour s’opposer à l’appareil scientifique euro-américain, est d’autant plus contre-intuitif qu’il intervint précisément au moment où l’île achevait son insertion aux circuits de l’économie capitaliste occidentale. Pour le comprendre, l’article propose d’analyser en détails les relations entre les milieux politiques et scientifiques singapouriens, afin de dégager les configurations dans lesquelles l’hypothèse différentialiste a gagné en crédibilité. Ce faisant, il montre à la fois la multiplicité des acteurs et des échelles impliqués dans cette transformation, mais aussi le caractère toujours contesté et inachevé des politiques scientifiques différentielles.
Fei Xiaotong (1910-2005) est considéré en Chine comme l’un des pères fondateurs de l’anthropologie et de la sociologie chinoises. Son ouvrage théorique le plus important, Xiangtu Zhongguo 乡土中国, publié en 1948, est traduit en anglais et publié en 1992 sous le titre From the Soil: The Foundations of Chinese Society. En 2021, pour repréciser certaines notions anthropologiques et les mettre à la portée des lecteurs francophones, notamment celle de chaxu geju 差序格局 « ordre (social) fondé sur la distinction de statuts » qui caractérise la société chinoise selon l’auteur, l’ouvrage est publié pour la première fois en français aux Presses de l’Inalco sous le titre Aux racines de la société chinoise. Après une présentation de l’auteur et de sa pensée ancrée dans la discipline anthropologique, une réflexion est proposée ici sur les débats académiques entre penseurs originaires de différentes sociétés. Une courte biographie de Fei Xiaotong précède l’exposition des principaux concepts élaborés dans son ouvrage et des questions rencontrées à propos de leurs traductions. Les liens anciens, mais complexes entre Fei Xiaotong et l’anthropologie française sont ensuite abordés, puis ses conceptions sont comparées à celles de l’anthropologue français Louis Dumont. L’expérience proprement dite de la publication et de la traduction en français, associant des collaborateurs chinois et français, et les discussions à […]
L’article interroge le concept de nation civique, appelée nation russienne (rossijskaâ naciâ), et ses ressorts intellectuels dans la Russie postsoviétique. Après une étude des carrières croisées des principaux théoriciens et promoteurs de ce concept, l’article analyse les façons dont l’expertise en sciences sociales a été délibérément mise au service d’une cause politique : la construction nationale. Sont enfin démontrées l’absence de consensus autour de ce projet et l’hésitation du régime de Poutine à l’imposer.
Cet article consiste en une analyse comparée de la production en sciences sociales ayant l’Indo-Pacifique comme objet d’étude, spécifiquement dans le champ des relations internationales (RI) entre deux pays : les États-Unis et la Chine, acteurs centraux dans cette région. L’objectif est donc d’identifier et de définir les principales orientations thématiques dans les académies nationales américaine et chinoise depuis quinze ans ; la production scientifique sur l’Indo-Pacifique étant appréhendée comme un récit politique. Ainsi, par l’utilisation des données issues de travaux académiques dans ces deux pays, se concentrant sur les articles en RI, il s’agit de mettre en lumière le référentiel scientifique de traditions nationales. Il apparaît que les distinctions entre ces « traditions » demeurent floues, celles-ci étant d’ailleurs traversées par différentes approches en leur sein. Selon les contextes étudiés, les rapports entre la communauté scientifique et le monde politique peuvent varier considérablement. Toutefois, s’il existe des divergences irréductibles dans la manière dont les chercheurs analysent les défis transverses en Indo-Pacifique, la comparaison entre la littérature scientifique et l’expertise produites dans les universités aux États-Unis avec celle produites en Chine offre un éclairage pertinent sur les influences mutuelles des scènes académiques nationales des sciences sociales, spécifiquement en […]
C’est un truisme de dire que le colonialisme a eu un impact terrible sur les langues indigènes africaines. Au Cameroun, où plus de 250 langues sont parlées, la situation est plus complexe, le pays ayant été partagé entre les puissances coloniales française et britannique. Le système de gouvernance mis en place à l’époque coloniale était différent d’une région à l’autre : les Britanniques ont opté pour un « Indirect rule » qui encourageait les populations indigènes à se gouverner elles-mêmes, tout en suivant les instructions données par les autorités britanniques, le système français plus strict, suivait une politique d’assimilation. Dans ces conditions, l’attachement tant individuel que collectif aux langues indigènes s’est considérablement réduit, surtout dans la partie francophone du pays. Après la proclamation de l’indépendance en 1960, les deux Cameroun se sont réunifiés en 1961, avec l’anglais et le français comme langues officielles. Cependant, même plus d’un demi-siècle plus tard, le spectre colonial demeure. Deux enquêtes ont été menées (2019 et 2020) auprès des jeunes camerounais anglophones et francophones, sur l’utilisation de la langue et l’attitude à l’égard de la langue. Elles révèlent une nette dichotomie qui reflète le modèle colonial. En effet, les enquêtes montrent un attachement beaucoup plus grand aux langues indigènes chez les anglophones, ce qui se traduit par un maintien […]
La nouvelle et volumineuse histoire de la liberté de Graeber et Wengrow possède des atouts considérables mais elle souffre également de graves lacunes.
À la fois réaction à une sur-spécialisation des sciences humaines et sociales en général, et réponse à un désir du public, les grandes fresques de l'histoire humaine se sont multipliées ces dernières décennies. La parution en 2021 du livre “Au commencement, était…” de David Graeber et David Wengrow est venue s'ajouter à ces productions en prétendant déconstruire les grands récits existants et proposer une approche radicalement neuve des origines de nos sociétés.
Le volume que présente Iulian Bocai tente de répondre à une question vertigineuse : quel type de pensée est la pensée philologique ?
Dans cet ouvrage, Vladimir Crețulescu s’attelle à étudier une des questions centrales du champ des études aroumaines, en rapport avec l’identité nationale des Aroumains.
The Way We Live Now : tel est le sous-titre original de l’exposition Civilization qui a donné lieu à ce catalogue. L’objectif poursuivi est de rendre visibles les travers majeurs de notre civilisation et notamment l’incapacité de l’humanité à « appuyer sur le frein ».
Cet ouvrage propose des approches riches et nuancées de la médiation interculturelle et linguistique. Il met en lumière le rôle fondamental des médiateurs dans notre monde de plus en plus divers et connecté.
Ce numéro, structuré autour d'une introduction écrite par les coordinateurs du numéro, de cinq articles interdisciplinaires et de deux entretiens, propose une analyse riche et essentielle portant sur l'interdisciplinarité entre les sciences sociales et les sciences naturelles et la manière dont cette interdisciplinarité fait « face à la question écologique ».