1 | 2017 - Les sciences humaines et sociales à l’épreuve de l’événement

La vague d’attentats qui a secoué la France au mois de janvier 2015 et les multiples interprétations explicatives qui en ont été données par les médias ont suscité chez les membres du programme une interrogation : comment donner une réponse scientifique immédiate à un phénomène factuel d’une telle complexité ? Autrement dit, comment un événement, c’est-à-dire un marqueur temporel distinguant un avant et un après, vient-il questionner notre pratique scientifique, qui s’inscrit, elle, dans la durée, voire dans la longue durée ? Ce numéro accueille à la fois des textes à caractère polémique auxquels il ne nous appartient pas de répondre directement, des articles théoriques et méthodologiques centrés soit sur la notion de « cas d’exception », soit sur la notion même d’« événement ». D’autres contributions, plus empiriques, illustrent les différentes manières d’appréhender l’événement en fonction tant de la définition que l’on donne de ce terme, que de la méthode de travail propre à chacune des disciplines des sciences humaines et sociales.


1. Projet scientifique et description de la revue Sociétés plurielles

Marie-Louise Pelus-Kaplan ; Gabrielle Chomentowski ; Liliane Crips ; Madalina Vartejanu-Joubert.
La revue Sociétés plurielles est née des aspirations du programme de recherche « Sociétés plurielles » associant des chercheurs en sciences humaines et sociales de diverses disciplines réunis autour d’un objet commun : la pluralité de nos sociétés. Que ce soit à travers des numéros thématiques ou des varias, le comité de rédaction de la revue Sociétés plurielles propose des articles démontrant la pertinence de l’approche interdisciplinaire. Saisi par les événements tragiques qui ont eu lieu en France en 2015 – à commencer par les attentats contre Charlie Hebdo et contre l’épicerie casher de la Porte de Vincennes – le comité de rédaction a voulu porter dans ce premier numéro une réflexion sur l’épreuve à laquelle les sciences humaines et sociales sont confrontées face à l’événement tant sur le plan épistémologique que sur le plan méthodologique. Historiens, sociologues, géographes et politistes portent donc dans ce premier numéro de Sociétés plurielles, chacun à travers des exemples différents, une réflexion sur le rapport entre sciences humaines et sociales et événement.
Rubrique : Introduction

2. La leçon des événements parisiens de janvier 2015 : le principe « deux poids, deux mesures » et l’universalisme

Jean-Loup Amselle.
Cette tribune revient sur la notion d’universalisme républicain mise à mal depuis quelques années par les déclarations très médiatisées de différents responsables politiques, de droite comme de gauche, tout autant que par des intellectuels et des associations. L’auteur met en garde contre la prééminence d’une vision racialisée de la société française, reflétée à travers la mise en accusation du principe de « deux poids-deux mesures » brandie par certaines associations et par la mise en concurrence des différentes victimes du racisme, de l’antisémitisme et de l’islamophobie.
Rubrique : Tribune libre

3. Les « villages d'insertion » : un événement territorial ? Quand la géographie sociale fait sienne la notion d'événement pour étudier les politiques urbaines

Elise Roche.
L’événement a fait l’objet d’attentions diverses en histoire et en sociologie notamment. Nous proposons ici d’examiner en quoi une approche géographique de l’événement - par une saisie territoriale, et non seulement temporelle ou sociétale - viendrait enrichir son appréhension. Nous envisageons ici l’« événement territorial » en l’appliquant à un cas d’étude : la construction de villages d’insertion à Saint-Denis. Ces dispositifs sont à destination de populations migrantes désignées comme « Roms » par les acteurs locaux, qui rencontrent des difficultés spécifiques liées notamment aux conditions de leur migration. Nous examinerons trois aspects de l’événement territorial : la rupture d’intelligibilité qu’il occasionne et la surprise face à une organisation territoriale inédite ; la pluralité de territorialités et de temporalités qu’il met en lumière et son caractère situé et contextualisé ; la discontinuité qu’il traduit dans l’approche territoriale du traitement de l’habitat spontané auto-construit.
Rubrique : Articles

4. Les institutions de la stupeur. Retour sur les sociologies de l’événement

Nagisa Mitsushima.
L’événement, généralement attaché à la contingence et à l’inédit, semble en réalité soutenu par une solide armature institutionnelle, laquelle contraint largement les pratiques des acteurs et les usages qu’ils pourront faire de l’évènement. A partir d’une revue de littérature, l’article plaide pour une meilleure prise en compte, par les sciences sociales, des dimensions historiques et conventionnelles de l’événement. En avançant une série de propositions pour saisir cette infrastructure des événements, l’article entend spécifier une modalité complémentaire d’analyse de l’objet « événement », au prisme de la sociologie historique et de la sociologie des institutions.
Rubrique : Articles

5. « En eschauguette en sa propre maison »Réflexions sur le terrorisme comme guerre civile - L'exemple des guerres de Religion (1562-1598)

Jérémie Foa.
La présente contribution se propose de réfléchir aux problèmes rencontrés par une société confrontée à la présence – réelle ou fantasmée – d’un « ennemi intérieur » prêt à frapper n’importe où, n’importe qui, tapi dans l’indolence, la banalité, la routine et le confort du quotidien. Dans cette société, la reconnaissance d’autrui et la présentation de soi n’ont plus pour but de protéger l’honneur social mais engagent des questions de vie ou de mort. Quelles sont les compétences mobilisées pour débusquer les « suspects » ? Les guerres de Religion (1562-1598) peuvent aider à penser une société confrontée à l’irruption d’une violence soudaine et, à l’image du terrorisme, venue de l’intérieur de la communauté
Rubrique : Articles

6. Musique, religion, appartenances multiples : une approche de l’événement

Monika Salzbrunn.
Partant d'un retour critique sur le concept d'évènement, l'auteure opte pour une approche épistémologique novatrice : plutôt que de partir de groupes institutionnels prédéfinis, elle étudie les manières dont le religieux fait évènement dans la région transfrontalière de l'Arc Lémanique. Il s'est avéré que la musique prend une place centrale dans l'expression d'appartenances translocales. Le texte, fondé sur les résultats d'un projet de recherche sur l'« Islam (in)visible en ville », montre comment la diversité des références culturelles représentées dans cette région suisse est mise en musique par les acteurs. Le processus de recherche commence par une focale sur l'événement et l'analyse des acteurs qui y mettent en scène leurs appartenances. Ces événements festifs sont restitués dans leur contexte politique, géographique et social.
Rubrique : Articles

7. Épistémologie de l’exception

Ivan Ermakoff.
Cet article éclaire trois contributions possibles du cas d’exception défini comme tout objet de considération qui se démarque et se distingue d’un cadre normatif, d’une thèse explicative ou d’une distribution fréquentielle. La contribution est critique lorsque le cas met en doute les fondements d’une taxonomie, le bien-fondé d’un énoncé prédictif ou celui d’une modélisation. Elle est paradigmatique dès lors que le cas exemplifie un ensemble de propriétés caractéristiques d’une classe empirique. Elle devient heuristique à partir du moment où le cas rend visible la logique de rapports restés jusqu’alors non documentés
Rubrique : Articles

8. Face au non-événement : réflexions à partir d’une expérience de terrain à Alger

Thomas Serres.
Cet article s'intéresse à la production et à la réception d'un non-événement, à partir de l'exemple des élections présidentielles algériennes de 2014. Le non-événement y est décrit comme le produit d'une publicisation, d'attentes des observateurs et des acteurs qui anticipent une trajectoire révolutionnaire ou catastrophique, mais aussi de certaines activités routinières liées à la configuration politique. Si le non-événement n'est pas une rupture, il révèle néanmoins la complexité des structures sociales et des imaginaires collectifs. Dans le même temps, il nécessite aussi une prise de distance afin de pouvoir saisir des phénomènes moins spectaculaires qu'il tend à cacher
Rubrique : Articles